run into the night

L'ennui. Un quotidien lassant, seulement rythmé par les cours, le travail. Des journées à flâner dans ton immense appartement bien trop grand pour toi, qui ressemble à se méprendre aux belles brochures que l'on voit dans les magazines. Entourée, choyée, mais prise de bouffées de solitudes intenses, jour comme nuit. Plus rien pour faire palpiter ton cœur, faire monter l'adrénaline, de donner ce que tu recherches : quelque chose d'une nouvelle saveur, un nouveau son plus prenant, plus rapide et addictif.

Cette nuit était une de ses nuits ou tu te réveillais, prise de panique, te voyant passer toute ta vie dans cette monotonie qui ne te convient plus depuis bien longtemps. Tu trouvais ça étrange et honteusement ridicule, pour une jeune fille comme toi, sortant tout juste de l'adolescence et découvrant le monde adulte. Tu attrapes ton iris, roulant dans tes draps pour atteindre le bout de ce grand lit et t'asseoir à son bord, tes pieds dans le vide, ne touchant même pas le sol. Il était seulement minuit, une nouvelle journée commençait dans quelques petites heures. Un samedi, où les familles sortiront se promener, où les couples iront manger au restaurant et où les moins chanceux travailleront. Et toi, que ferais-tu ? Comme à ton habitude, tu rejoindrais quelques amis de ton école, vous iriez au cinéma, ou tu irais peut-être manger chez tes parents. Ce n'était pas ce dont tu avais besoin. Il fallait que tu casses cette routine, rien qu'aujourd'hui et que tu prennes une grande bouffée d'air frais. Une idée s'insinue dans ton esprit, et tu t'empresses de taper un message sur ton Iris. Une fois envoyé, tu l'abandonnes sur ta table de nuit et file prendre une douche bien chaude. Tu trouves une réponse à ta sortie, un sourire se dessine sur tes lèvres.

Alors tu accélères, et ne trouve rien d'autre à enfiler que ta robe-uniforme d'un bleu nuit, et une fois tes cheveux secs tu les décores de ton habituel serre-tête, permettant de retenir quelques-uns de tes cheveux violacés rebelles. L'air semble frais dehors, alors, tu ajoutes de longues chaussettes noires montant au dessus de tes genoux à ta tenue. Tu attrapes la première paire de botte à ta portée, ainsi qu'une veste assez longue et tu glisses ton iris dans une des poches. Tu descends les escaliers de ton duplex en trombe, venant fouiller dans les placards de ta cuisine pour enfin y dénicher ce que tu cherches. Tu glisses les deux bouteilles dans un sac à dos, ayant pris une belle gorgée de la première. L'alcool laisse une traînée brûlante dans ta gorge. Tu attrapes tes clés et sort enfin de l'immeuble, te rendant à pied au point de rencontre que tu as convenu. Un petit parc de jeu pour les enfants, se trouvant au cœur des résidences du quartier neutre.

Il ne te faut pas plus d'une dizaine de minutes pour t'y rendre, et une fois sur place, tu attends, assise sur une balançoire, éclairée par quelques lampadaires, reprenant deux belles lampées de tes précieuses bouteilles. Tu reposes le tout dans ton sac, et tu te balances, tête en arrière, regardant le ciel de cette nuit sans étoiles.

run into the night

Le lent mouvement de la balançoire, la nuit sombre, les premières vapeurs d'alcool s’infiltrant dans son organisme, elle plane un instant. D'un coup, la magie s'envole aussi brutalement que le va-et-vient de la balançoire se bloque. Tu manques de perdre l'équilibre mais la pointe de tes pieds trouve le sol et tes faibles bras agrippent fermement au métal froid et usé qui t'abîmes les mains. Tes yeux croisent les siens, au dessus de toi. Il dégage toujours cette aura pleine d'arrogance et de dédain, et même son regard essaie de l'exprimer.

« J'espère que tu ma laissé de la tequila sinon je me barre! »

Tu fermes les yeux et soupire, baissant ta tête vers ton sac mauve, où tu viens piocher la bouteille entamée. Tu te relèves et lui fourre dans les bras d'un geste brusque, signe d’agacement de ta part, avant de coller tes poings sur tes hanches.

« J'ai failli t'attendre ! La prochaine fois, il se peut qu'il n'y en ai plus si tu met autant de temps à venir ! »

Et pour ponctuer ta morale en beauté, tu lui tires la langue. Beau signe de maturité de ta part, toi, jouant déjà bien assez de ton physique de femme miniature. Tu grimpes sur la balançoire, et bien qu'elle soit conçue pour les plus jeunes, tes yeux se retrouvent au niveau des siens. Tes bottes glissent sur le plastique et tu te retiens d'une main, lui piquant sa cigarette qu'il avait encore entre les lèvres. Tu l'examines et renifle doucement, hésitante.

« Je me doutais bien que ce n'était pas que du tabac. Depuis quand tu fumes ce genre de choses ? »

Tu la glisse entre tes lèvres et en tire une bouffée. Tu grimaces immédiatement, le passage de la fumée dans tes poumons se faisant désagréable. Quand tu expires, libérant toute cette saloperie de tes bronches, tu manques de tousser. Tes yeux te piquent un peu, mais tu tentes de faire comme si de rien n'était. Le joint toujours entre tes lèvres tu regardes des silhouettes passer à l'autre bout du parc. De loin, il semblerait que se soit un vieux couple, vous dévisageant. D'une voix plus neutre, tu demandes distraitement

« Je suppose que tu ne travailles pas demain... ? »